MOI, J'AIME SCIER





A une journaliste qui me demandait ce qui me faisait rire, je répondais sans sourciller du bois. "La planche, c'est fun." C'est vrai. D'ailleurs, la scie rit. Soit. Mais, là n'est point ma seule source de poilade.


Quinze ans de Viet Yen Dao m'ont donné la force du ying et la souplesse du matin calme. Biceps au forceps. Pectoraux convexes. Abdeaux striés. Veines gonflées. Muscles saillants. Sourire éclatant. Fesses de rêve. Regard azur. Cérébral célébré. Sexuellement hyperactif. Tel est Cielmarcheur.


Rares sont les défis à ma mesure, les obstacles à ma dimension. Tel le gérontophile, rien ne m'effraie. Intraitable. Incorruptable. Incroyable. Inséparable. Incarcérable. Insolvable. Pour libérer la veuve de l'orphelin, ou pour aller en bas chercher l'pain, je n'me sépare jamais d'mon couteau, comme Schwarzenegger dans Commando. Ceux qui m'testent savent à quoi s'en tenir. On se souvient encore du sort de cette pauvre diablesse qui refusait les chèques. La sanction fut foudroyable. Cielmarcheur la privait d'étreintes.


Aussi, lorsque l'Etat me met à l'épreuve, je pouffe. Trois marches à gravir. Quelques acrobaties. Sans filet. Défiance du public. Assaut d'effluves plantaires. Louvoiement du mobilier. R'in à faire. Ch'triomphe des éléments déchaînés et gagne la terre promise. Sans pertes. Ni fracas. Ni balles.


Telle est la couchette du haut.





Le train de nuit a cette spécificité. Il roule de nuit. Le voyageur s'y voit couramment proposer d'être mu allongé. Contre supplément. Un subterfuge qui ne trompe personne transforme les cabines en compartiment couchettes pour une nuit torride entre Montauban et Vierzon.


Fidèle au low cost, comme les trains allemands naguère, la SNCF pratique une politique tarifaire démagogique et laisse les plus démunis joindre Vierzon. Corollaire de la médaille, la misère s'accumule dans le Cher et le rail se ramasse tous les cassos' de notre belle patrie. Dans les vapeurs de rillettes, les silhouettes élancées des executive women en escale ne sont qu'hallucinations. Bonne nuit.





Summum d'apitoiement collectiviste, la SNCF va jusqu'à racoler femmes enceintes et mutilés de guerre.


Le favoritisme pro-mutilés de guerre se fit dans la douleur. Le cul-d'jatte fait preuve d'un manque de bonne volonté manifeste au moment d'accéder au train. Idem à la descente. Du moins, avant la pose des toboggans gonflables. Sur le front médiatique, la SNCF vit naître les polémique les plus éparses. "Les fantassins abîmés en seconde classe. Les gradés dégradés en première. Scandale. Lutte des classes." "Quid des mutilés civils ?" "Gâter les démembrés suscitera une vague d'automutilations Sampras aidant." "Les femmes enceintes mutilées de guerre doivent-elles accoucher à Vierzon ?" "Sampras perd-t-il ses cheveux ?" "Doit-on raser Vierzon ?" Les flammes de la calomnie, attisées par la juiverie cosmopolite, n'eurent raison de la détermination du bon peuple de France.


J'ai compris la détresse du manchot un soir tard devant Canal", raconte le grand communicant local, des trémolos dans la voie. Places réservées. Publicités dédiées. Tarifs réduits ("Comme vos bras"). Jolies hôtesses mutilées. Tout est fait pour transporter l'éclopé de bonheur. "Au fond, qui nous dit que les rognures ne préfèrent pas sédimentariser à l'abandon tout seuls chez eux comme des cons", sourient certains. Pourtant. Improbable cœur de cible, imprévisable point nodal du business, précipité dans un bain de félicité ferroviaire, le mutilé boit du p'tit lait.





Le train a remis l'estropié au goût du jour. Ascension à grande vitesse. Idole locomotorisée. Star à domicile. Soirées mondaines pour Karembeu. Démarche pied-bot pour les cailles.


Certes. Mais les cheminots ont su humour garder. Dans un wagon couchette, ce sont les très inaccessibles paillasses du haut qui sont réservées aux mutilés de guerre. "Et ça, ça m'fait beaucoup rire, m'dame la journaliste."





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