L'Indépendant. Une boîte sélecte comme Tom. Une piste supersonique. Un lounge stupéfiant. Un vestiaire incroyable. Ici se consume la jeunesse dorée. Ca festoie. Ca "délire". C'est la génération Fonzie Platini.

La crème des Disc Jockey officie ici. DJ Gadou y joue le Gambadou et Agadou. Vitalic y fit trembler les fondations. Roger Sanchez y refit les plafonds.

02h00. Fermeture des bars. Attroupement devant l'entrée. A l'intérieur, la pression monte. La foule est compacte. Les corps s'enchevêtrent. Le dancefloor fait dédale. Et hop.

Soirée hunlich. DJ Plastic aux platines. Véritable Aimé Jacquet du mix, sa sélection est impeccable. Réclamé de part le monde, tel Bob Sinclar, il enchaîne set sur set. Dix-mille dollars, "et une bière". Le prix d'un voyage sensoriel unique. Pas besoin de gober pour atteindre l'extase. Les filles s'embrasent. Ce soir encore, Plastic est l'œil d'un cyclone de luxure. 





Mais les belles ne sont pas seules. Colocalisés se trouvent les lourdauds.

Autoconvive intrépide, contiguïté fétide, que faire ? Appeler les videurs ? Non. La sécu c'est bien, en abuser ça craint. Le gentilhomme encaissera, en songeant qu'il n'appartient qu'à l'espèce humaine de réunir des êtres que des millions d'années d'évolution séparent.

Le selector lui-même devra s'armer de patience et répondre avec tact que, non, toujours pas, il n'a pas Bob Morane. "Et renverse pas ta Leffe sur mes MKII, gros con", ne peut-il ici qu'intérioriser. "Rétrospectivement, Monica Belucci qui me souffle de passer le dernier J-Majik, j'me demande si j'l'ai pas rêvé en fait".

Mais, si, d'habitude, le contenu informatif des braillements nauséabonds de l'étudiant ingénieur en fin de soirée ne laisse que peu de place à l'équivoque, le message est parfois moins clair. Prenons l'exemple de cette invective récemment ouïe.





Ils étaient trois. Trois lourdingues. Des pur-sang, très certainement. Cuistots "Chez Jambier". Des as du pied de porc venus exalter leur sens dans l'antre des nuits toulousaines. Par ordre d'apparition :
- un gros, visiblement peu enclin à payer ses bières, le traditionnel "Alphonse D" indispensable à toute fête,
- un petit, Gollom en pull marin, dont les poils du dos semblait baigner dans le saindoux,
- un à lunette, qui pourrissait consciencieusement la soirée d'un Anglais qui passait par là.

Si le gros assurait une présence constante au bar, le petit s'était montré le plus constant auprès de DJ Plastic, assurant un lobbying musical sans relâche. Pour autant, c'est bien au troisième que revint l'infirme honneur d'apposer la touche finale à cette entreprise de déstabilisation et de rentrer au Panthéon des types qui disent des phrases.

"Wôh, lance du bois !"

Plastic, pas sûr d'avoir tout compris, répond platement à côté, comme à tous ces martyres en quête du quart d'heure de gloire qui viennent réclamer "le truc où y'a Elvis Presley qui chante".

"Euh, j'suis pas sûr que tout l'monde apprécie."

Mais son interlocuteur persiste.

"Wôh, tu t'en fous des aut', vas-y, lance du bois !"





Surprenant. Tentons de déchiffrer.

Première hypothèse, très littérale : Jo réclamait du bois. Normal. Au lieu de faire gagner des caleçons, osons la pyrogravure comme support publicitaire. Marlboro y planche, dit-on. La vision d'un DJ bombardant subitement les clubbers de poutres peut surprendre, mais, un peu comme Larry Levan au Paradise Garage qui éclairait au projo le type avec qui il voulait finir la nuit, Plastic pourrait envoyer subrepticement une petit bûchette sur le cageot qu'il convoite. De "jeter son dévolu" à "lancer du bois". Admettons.

Deuxième interprétation possible : "qu'est-ce' tu bois". Jo proposait un verre. Après avoir écumé le parc de blondes, puis les brunes, les moches, les vieilles, les vieux, le barman, le physio et le pit' du physio, Jo sent que, ce soir, son pouvoir de séduction l'a fui. "Même Heavy D m'aurait lourdé." Dernière proie possible, bernard dans la pénombre : le DJ. Problème, Plastic a gardé de la pratique du tennis quelques principes : jamais pendant l'service. En guise de bois, le manche du râteau. Admettons.

Autre piste : celle d'une expression de jeunes, un parler à la mode, comme "énorme", "ça l'fait", "queue du bonheur", "big up à la west side", "passe passe la cigarette" ou "développement durable". Oui, mais, voilà, Jo n'a pas crié "wôh, développement durable !", mais bien "wôh, lance du bois !". Le choix délibéré d'un ex-bûcheron ? "Non, j'ai pas de hache". Raté. T'façon... A moins qu'il nous ai caché son accent québécois, comme Marchais cachait son accent français à Messerschmitt. Admettons.

Non. Je sais. Lance Dubois, c'est son blase. Ou peut-être qu'il disait "danse du doigt". Il voulait du scratch. Ou bien "Paul Préboist" ? Mon DJ chez les nudistes ? Invérifiable. Ou alors, il voulait lancer Dubois, un nain. Ou, adepte de l'orgasme musical, Jo réclamait la transe sexuelle. Lance du Bois de Boulogne. Tous veulent en hêtre. Admettons.

"Lance des noix", "langue de bois", "fraise des bois", "mange des pois", "rince tes doigts", "tire les rois", "Charlebois", toutes ces hypothèses sont séduisantes, mais quelle signification en tirer ? Et faut-il croire ceux qui pensent que les initiales de la traduction en phénicien converties en nombres hexadécimaux soustraites de l'âge du chauffeur de Francis Lalanne donnent la date de l'apocalypse ? Admettons.





Cette anecdote est symptomatique. A l'aube du troisième millénaire, le monde est en pleine mutation. Nous vivons une époque charnière, où les repères se brouillent -­ religion et État capitulent devant la toute puissante économie -, où les frontières vacillent - rendues chaque jour plus obsolète par la révolution des nouvelles technologies -, où les notions de Gauche et Droite n'ont plus de sens. La globalisation est mondiale. Songez que, à l'heure où vous lisez ces lignes, des spéculateurs réalisent des plus-values sur les toutes les grandes places boursières ! Et, dans ce monde de l'argent roi, l'individualisme explose. Quel jeune peut encore rêver au "contrat social" quand, de l'autre côté de la barrière, les riches deviennent toujours plus riches ? Peu de gens le savent, mais même les États-Unis ont leurs laissés-pour-compte ! Le capitalisme triomphant est en fait un bateau fou que personne ne peut plus contrôler, dominé par quelques grandes multinationales, qui s'immiscent partout dans notre quotidien ! L'alternative viendra-t-elle d'une Europe divisée, incapable de parler d'une seule voix ? De la Chine, que certains voient jouer un rôle croissant ? Nos dirigeants ont été incapables de s'attaquer aux problèmes de fond. Le 11 septembre n'était qu'un avertissement : les fous d'Allah n'ont jamais été aussi près de s'emparer de l'arme nucléaire ou bactériologique et la prophétie d'un 21ème siècle religieux pourrait prendre les traits de guerres de religion ! La violence de nos villes n'est que le reflet du fossé Nord/Sud. Des zones de non-droit se constituent, terreau fertile à la montée de l'extrême droite. La classe politique décrédibilisée, celle de ces soixante-huitards devenus aujourd'hui ce qu'ils dénonçaient hier, assiste impuissante à l'accélération de l'Histoire. Le pouvoir n'appartient plus aux élites, il est aux mains des leaders d'opinions et des média ! Patrick Montel, t'as une petite bite. Le "politiquement correct" est-il la seule réponse à la télé-réalité et à la culture anglo-saxonne ? Le futur nous promettait amours virtuels et vie éternelle, mais à quoi bon, sur une planète qui petit à petit s'asphyxie ? Nous sommes les derniers à pouvoir contempler la Terre telle que la nature nous l'a léguée et c'est à nous qu'il incombe de défendre l'avenir de nos enfants ! Lançons du bois.





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