- J'vous assure, j'les ai vu. Ils sont là, partout.
- Mais, à quoi ressemblent-ils ?
- A rien !

Où que j'aille, le vulgum pecus me précède. Inquiétant. Combien sont-ils ? Foison. Si Saddam Hussein a quinze sosies, Patrick Braoudé en a toute une armée - prête à envahir Bricorama sur ordre. Et que tous ceux qui prennent David Beckham pour un "trendsetter" m'expliquent pourquoi des millions d'individus s'épilent le crâne comme Gérard Jugnot, hein ?

Aujourd'hui, les rustres ne se cachent plus. Parfois, cynique, je me poste, j'observe un jeune brailleur comme on étudie un rat d'laboratoire, rat dont on aurait fait l'ablation du jesuisconscientdumondequimentoure. Visiblement, sa grande victoire du jour aura été d'gagner une place dans la file. Fascinant.

Variante de l'exercice, catégorie "figure imposée" : discuter avec un branque. Face à lui, je le sens, je m'élève, je quitte le monde des mortels, j'atteint un état second, l'éden (shoulder), un stade de liberté totale où je peux faire n'importe quoi, afficher mon désintérêt le plus total, mon interlocuteur, imperturbable, poursuivra : "ici, pour nous, c'est vachement dur d'avoir des postes à responsabilités quand t'es jeune". Je contemple mon cobaye (Achille) et l'imagine, majestueux, sur le stand de "L'Homme Le Plus Con Du Monde", coincé entre la femme à barbe et la cage aux nègres. Quelle star.

Le soir venu, je ressasse : ce gros qu'a un avis sur les avions qui s'écrasent, cette trentenaire qui vibre aux exploits de son lapin nain, celui à qui il arrive toujours un truc "en allant à la muscu", cet anonyme en puissance qui enseigne la flûte à quelques collégiens incrédules, celle qui brûle dix litres d'essence par jour pour vivre dans la nature, ce hockeyeur qui nous prévient que "Rouen, c'est quand même les futurs champions de France en titre"... Une source d'amusement, ou, selon l'humeur, "un motif d'accablement supplémentaire à ranger au rayon des désillusions quotidiennes" (Cavanna).

Écueil de la conceptualisation forcée, le sentiment de supériorité. Chaque fois, c'est pareil. Je surmonte mes a priori, genre "faisons abstraction d'la trace de dentifrice qu'il a sur son pull et tâchons d'converser sans arrières pensées avec ce louzeur pathétique". Puis, il dérape. "J'ai acheté l'dernier Mariah Carey, mais, finalement, il est pas terrible". Aïe. Un dépit immense m'envahit (un peu comme - finissant sans illusion sa nuit devant les clips, jetant ses derniers éclairs de lucidité en pâture à M6 - à l'instant où apparaissent les premières images du Frequenstar Anne Roumanoff). Je prends mes distances et abrège mes réponses. Encore un avec qui ça ira pas plus loin. 99%.

"Eh, Cielma, pour lutter cont' le sentiment d'supériorité, t'as qu'à mesurer ta bite". Ah, que j'aimerais voir ma prose essuyer le feu des critiques les plus fines. Car, moquer, c'est constructif. Par exemple, vanner une grosse, c'est œuvrer pour la santé publique. Il n'y a pas que le côté ludique.






- J'AI VU UN MANGA OÙ LE MEC IL AVAIT SEPT BITES !
- Hmm... Moi, j'ai vu un film où l'héroïne avait huit vagins. Ca s'appelait Octopussy.
- [rires] EH, CÉCILIA, T'AS ENTENDU ÇA ? IL A VU UN FILM OÙ LA FILLE ELLE AVAIT HUIT VAGINS !
- ...

Le résumé d'mon existence. Que faire ?
Si vous choisissez d'expliquer le calembour, allez en [5]. Sinon, allez en [3].

[1]
Vous vous enfoncez.
- Mais non, pas dans un James Bond. C'est pour le jeu d'mots qu'j'ai dit ça.
- UN JEU D'MOTS AVEC JAMES BOND ?
Encore une veste. Abandon parka haut. Vous vous confiez à votre punch : "laisse tomber, t'façon j'm'en bat la dure de ces cons".
Si vous voulez relire ce paragraphe, allez en [1]. Sinon, allez en [7].

[2]
Quelqu'un a compris. Votre renoncement post-comiqual passe pour du mépris. Excuses réciproques, du bout des sourcils.
- Oui, je sais, c'est lâche, j'ai considéré ton beau-frère comme une cause perdue.
- Oui, je sais, mon beau-frère est un troglo, mais, bon, voilà quoi, bienvenue sur Terre.
Si vous êtes contre les marées noires, allez en [7].

[3]
Vous, le Mozart de la Blague, ravalez votre orgueil. Profil bas. Après tout, si ça l'fait rire comme ça... Mais la curiosité vous brûle. Coup d'œil furtif sur l'assemblée.
Jetez un dé. Si vous faîtes 1, 5 ou 4, allez en [6]. Sinon, allez en [2].

[4]
Les coups tordus, Marcel connaît. En 30 ans, il s'est construit un empire. Il a une dizaine de manèges dans Paris, aux meilleurs endroits bien sûr. Il règne aussi sur des fêtes foraines partout en France. La Fête à Neuneu, la Foire du Trône, la Fête à la Saucisse : tout ça, c'est Marcel. Marcel a commencé dans la frite. A 18 ans, déjà, les premières embrouilles. Faute de tables et de chaises, il braque une terrasse pour améliorer sa première baraque à frites.
Si vous aimez les frites, allez en [7].

[5]
Vous cassez l'ambiance d'un laborieux "euh, non, en fait, «octo» pour huit et «pussy» pour... «Octopussy» c'est le nom d'un James Bond". Les convives s'interrompent, interloqués. Le poids des mots, le choc des prolos. Faire face à la vérité, c'est le prix de la démocratie. C'était une décision difficile, mais vous avez fait preuve de courage. Vous pouvez redresser la tête. C'est une victoire sur l'obscurantisme, un pari sur l'intelligence, un acte d'édu... "UNE FILLE AVEC HUIT VAGINS DANS UN JAMES BOND ?". Ricanements.
Si vous choisissez de répondre, allez en [1]. Si vous voulez en savoir plus sur Marcel, allez en [4].

[6]
Personne n'a compris. Votre flèche passe à côté d'la postérité. "C'est comme quand j'leur ai imité l'Africain tout à l'heure. 'Pas pour dire, mais c'est donner d'la confiture aux cochons."
Si vous reprendrez bien un peu d'punch, allez en [7].

[7]
Très involontairement, vous avez prouvé, par a + b, devant toute la famille, l'inculture crasse du - par ailleurs gentil - futur mari de Cécilia. Vous culpabilisez.






Oui, parce que, à une époque où artistes et publicitaires ont fait d'la provocation un poncif, on peut dire beaucoup d'choses, on peut tutoyer son chef, insulter la bonne, poser avec une chaussette trouée... Mais, à l'intérieur du cercle familial, ça reste tendu (sic).

Ainsi, tabou ultime : comment dire à un proche que ses enfants sont moches ?

A la maternité, face à l'amas flétri, les premières angoisses. "J'risque pas le mal-entendu si j'dis qu'il ressemble à sa mère ? «Oh, il a les yeux bleus, comme le facteur». Pfff, j'suis encore sauvé par la qualité d'mes vannes, mais imagine qu'un jour ch'ois moins chaud..."

Simple test, en principe. Mais le bébé grandit. Mal. Le temps passe et, bon, on ne sait toujours pas si le petit sera avocat ou CRS, libertaire ou libéral, McDo ou Quick, juif gay ou arabe straight, mais, par contre, on est sûr d'une chose : il sera moche. Jusqu'à son dernier souffle. Dur.

Kit de survie en milieu familial. La bête s'approche. Coincé à un bout d'table, je ne peux fuir. Son daron m'observe. Diversion. Vite. Ses lunettes, "si rigolotes". La boîte à bijoux en pots d'yaourt, "il a la fibre artistique". Mouais. A peine grillé. "Oh, mais c'est ton p'tit monstre !". Silence. J'sais pas trop si on peut jouer sur l'humour en fait. "Putain, avec la stachmou qu'elle a ta fille, au moins elle aura ses soirées libres pour réviser". Pas sûr.

Parenthèse. Mes interlocuteurs connaissent peut-être aussi ces mêmes dilemmes. "Oh, non, il remet ça avec son site web débile. Je sais pas comment lui dire, mais ça fait rire personne son truc. Le pire c'est qu'il a l'air de prendre ça au sérieux, avec ses histoires de "seul site web d'humour second degré". Quelle buse. Pourvu qu'il me demande pas mon avis - c'est comme si on demandait à un lépreux s'il aime le ski nautique. Il ferait mieux de chercher à se marier au lieu de perdre son temps avec ces conneries". Eux aussi bottent en touche. "T'es venu par la rocade ?". Je ne suis pas dupe.






Des géniteurs malheureux, on peut dire à leur décharge que ce sont les moches qui constituent les forces vives de ce pays. Sans eux, quid du championnat corpo ? Cependant, et là est mon propos, pourquoi le dire à une décharge ?

Je m'imagine mal, serein, discutant avec l'immondice. Certains sentiments se dissimulent mal, la révulsion est de ceux là (réflexion que je me suis faîte devant un type qui avait un bouton sur le nez - je cherchais quelque chose à dire pour casser le malaise, mais tout ce qui me venait à l'esprit n'était que facéties - "tu sais qu'on a en a déporté pour moins qu'ça ?" ;o).

Ces histoires de décharge me rappellent ces reportages si distrayants sur lesquels on tombe parfois la nuit tombée où l'on voit des petits sidéens disputer aux rats les moyens de leur subsistance dans les galeries qu'ils creusent à mains nues toujours plus profond dans les ordures pour trouver trace des années glorieuses où les déchets étaient plus riches. Ces enfants, dont nous tirerons un rein ou la virginité, un rien fait leur bonheur. Un bout de pneu, une tôle ondulée et ils vous font la plus belle des favelas. Un sac en plastique, un peu de colle et les voilà tout sourire. Ah, qu'elle est belle la vie de ceux qui ne connaissent pas les affres du jet lag.



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